L'intérêt et son rôle au sein de l'économie et de la vie en général (partie 4 ) : De l'interdiction à la justification
L'intérêt et son rôle au sein de l'économie et de la vie en général (partie 4 ) : De l'interdiction à la justification
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par Jamaal al-Din Zarabozo (© 2011 IslamReligion.com)
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Avec le temps, on finit par considérer que l’interdiction de l’intérêt n’était rien d’autre qu’un dogme religieux qui devait être aboli. On ne pouvait plus laisser la religion mener l’économie. C’est en tout cas le sentiment exprimé, entre autres, par le célèbre économiste Richard Tawney, lorsqu’il dit : « C’est toute la pensée médiévale qui cherchait à inclure les affaires économiques dans une hiérarchie de valeurs englobant tous les intérêts et toutes les activités, dont le sommet était la religion. »[1] Mais il semble, cependant, que le changement d’attitude et de perception qui s’imposa petit à petit n’était pas fondé uniquement sur des raisons économiques. Lawrence Dennis écrit :
Aristote, les canonistes catholiques romains, la Torah juive... ont tous interdit les prêts à intérêt et dénoncé l’intérêt comme équivalent à l’usure. Le prêt à intérêt a connu un essor lors de l’époque médiévale, d’abord et avant tout pour accommoder des princes qui avaient besoin d’argent pour les guerres et autres projets publics, et qui n’arrivaient pas à collecter suffisamment de fonds. Contrairement à une idée reçue, le système de prêts ne fut pas développé, à l’origine, pour financer le commerce. Les Vénitiens, les Allemands, les Britanniques et la Ligue Hanséatique finançaient leurs opérations, jusqu’au 17e siècle, avec les dotations en capital de leurs partenaires.[2]
Plus loin, Dennis écrit :
Les canonistes catholiques ne s’opposèrent pas aux profits sur les opérations commerciales, à la location de terres ou aux ventes des produits de la terre. Mais ils s’opposèrent aux intérêts perçus sur les prêts monétaires. Durant la Réforme, l’intérêt fut justifié par les protestants pour échapper aux objections des canonistes. L’Église catholique ne changea jamais d’avis sur l’usure, mais elle toléra les prêts sur la base de certaines suppositions. Ce consentement moral, par l’Église catholique, et l’approbation par les commerçants calvinistes finirent par être incorporés dans la loi, dans la pensée et dans le comportement des sociétés modernes.[3]
Les justifications auxquelles Dennis fait référence se trouvent dans plusieurs commentaires de la Bible. Même si les textes de l’Ancien Testament condamnent clairement l’intérêt, cela n’a pas empêché certains érudits, plus tard, d’ignorer ou de déformer le sens de cette interdiction.[4] Par exemple, le Henry’s Concise Commentary commente ainsi le Lévitique 25:37 :
Jusqu’ici, nous devons nous conformer à cette loi; mais on ne peut nous l’imposer lorsque l’argent est emprunté pour acheter des terres, pour faire du commerce ou pour d’autres projets majeurs; car dans ces cas, il est raisonnable que le prêteur partage les profits de celui qui emprunte. Cette loi a clairement été prévue pour les pauvres, à qui prêter sans intérêt est un acte de grande charité.
D’emblée, cette explication est réfutable, car l’intérêt n’a jamais été un système dans lequel le prêteur partage les profits avec l’emprunteur. Si tel était le cas, bien des maux associés à l’intérêt n’existeraient pas. De même, le commentaire biblique de Jameison-Fausset-Brown affirme :
« L’usure est sévèrement condamnée [dans la Bible] (Psaumes 15:5, Ézéchiel 18:8,17), mais on ne doit pas considérer cette interdiction comme applicable à la pratique moderne du commerce, où l’on emprunte et prête à des taux d’intérêt jugés légaux. »
Comment cet acte est-il passé de « sévèrement condamné » à « impossible à appliquer à la pratique moderne du commerce »? Aucune preuve ni aucune logique n’explique un tel bond dans le raisonnement. De même, dans leur commentaire du Deutéronome 23:19-20, Jameison-Fausset-Brown écrivent :
« Lorsque vous prêterez de l'argent, des vivres ou toute autre chose à un compatriote, vous n'exigerez pas d'intérêt de sa part. » Les Israélites vivaient dans une société relativement simple et étaient encouragés à se prêter de l’argent, entre eux, de manière amicale et sans espérer de gain en retour. Mais la situation était différente avec les étrangers qui, impliqués dans des affaires commerciales, empruntaient pour augmenter leur capital. Il était donc raisonnable d’attendre d’eux qu’ils paient des intérêts sur les prêts qui leur étaient consentis. »
Encore une fois, ils n’apportent aucune preuve pour étayer leur explication. (Ils semblent toutefois laisser entendre que les textes sacrés manquent de clarté et ne sont pas formulés correctement. ) En fait, même un célèbre économiste a cherché à expliquer certains passages bibliques. Paul Samuelson écrit, dans son manuel bien connu sur l’économie : « Les passages bibliques s’opposant aux intérêts et à l’usure font clairement référence aux prêts consentis pour la consommation plutôt qu’aux prêts destinés à l’investissement. »[5]
Avec la disparition des objections « scolastiques », le rôle de justifier le paiement d’intérêts fut repris par la science naissante de l’économie. Mais cela s’avéra beaucoup plus difficile que prévu. Haberler avait certainement raison lorsqu’il affirma :
La théorie de l’intérêt a longtemps été le point faible de l’économie. Et l’explication et la détermination des taux d’intérêt continue de faire naître plus de désaccords entre les économistes que toute autre branche de l’économie en général.[6]
En réalité, parmi les économistes, « il n’y a pas une seule théorie de l’intérêt généralement acceptée qui soit en mesure de fournir une explication claire sur l’origine de l’intérêt. »[7]
FOOTNOTES:
[1]Cité dans Qureshi, p. 7.
[2]Cité dans Qureshi, p. 167.
[3]Cité dans Qureshi, p. 167.
[4]Plusieurs fidèles de ces religions aimeraient voir les musulmans les imiter, même si leurs arguments ne sont point raisonnables ou logiques. La quasi totalité des érudits musulmans, à travers le monde, ont jusqu’ici évité d’interpréter de façon aussi légère les versets du Coran et les hadiths.
[5]Paul A. Samuelson, Economics (New York: McGraw-Hill Book Company, 1976), p. 605. Italiques ajoutés.[6]Haberler, Prosperity and Depression (1st edition), p. 195. Cité de Afzal-ur-Rahman, p. 9.
[7]Afzal-ur-Rahman, p. 9.
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